Comment j’ai écrit un livre avec un iPad Pro

Comme je l’expliquais dans un précédent article, j’utilise depuis quelques mois un iPad Pro pour travailler. La tablette n’a pas remplacé totalement mon Mac principal, j’utilise les deux appareils en parallèle, en fonction des tâches que je dois réaliser. Mon travail ne se résume pas à une seule activité et en fonction de ce que je fais un jour donné, l’iPad peut m’être plus ou moins utile.

Il y a un domaine où l’iPad Pro a largement remplacé mon Mac, c’est l’écriture de livres. J’ai rédigé Tout savoir sur Raccourcis essentiellement sur la tablette, en n’utilisant le Mac que de manière très secondaire. J’ai pu le faire parce que toutes les apps nécessaires sont disponibles sur iOS et parce que le processus de création du livre numérique est déporté sur un serveur.

Ma méthode de travail ne correspondra peut-être pas à tous les besoins, mais voici comment j’ai écrit un livre avec un iPad Pro.

Working Copy pour récupérer et envoyer les fichiers

Tous les livres écrits pour MacGeneration sont stockés sur notre serveur GitLab. Ce serveur sert à la fois à stocker tous les fichiers nécessaires, à garder un suivi de toutes les modifications effectuées sur le projet — c’est le principe du versionnement de Git —, et à générer le livre en lui-même.

Pourquoi utiliser Git pour écrire les livres ? Nous avons mis en place cette approche il y a plusieurs années, parce qu’elle apporte plusieurs avantages. D’une part, c’est une sécurité : les livres sont stockés sur un serveur géré par MacGeneration, et pas uniquement sur mon Mac ou mon iPad. Grâce au versionnement, nous gardons en outre une trace de toutes les modifications apportées au projet, depuis les premières lignes jusqu’aux corrections typographiques.

Git est également un excellent outil pour le travail collaboratif. Même si la majorité de nos livres sont écrits par un seul auteur, d’autres personnes de l’équipe peuvent intervenir sur le projet et modifier un élément. En général, mon collègue Anthony vient s’occuper de la partie technique, de la mise en page et des corrections à apporter. En utilisant Git, il peut travailler de son côté sans me bloquer à l’écriture grâce au système des branches et de fusion.

Pour générer le livre, nous utilisons une fonction de Gitlab dite d’intégration continue. À chaque fois que le livre est modifié sur le serveur, via un commit dans la terminologie Git, une nouvelle copie du livre est générée. On pourrait se contenter de générer le livre à la fin, quand tout est écrit, mais pouvoir relire directement dans l’app Livres est un avantage précieux.

En théorie, on pourrait reproduire ce mécanisme en local sur l’iPad, mais disons-le d’emblée : si vous n’avez pas ce processus de création à distance, vous serez vite limité sur iOS. Notez toutefois que vous n’avez pas nécessairement besoin d’un serveur ou d’un service clés en main comme GitHub, un Mac situé sur le réseau local peut très bien faire office de serveur Git.

Pour écrire un livre, je dois avoir accès à ce serveur Git pour télécharger initialement les fichiers depuis le serveur ainsi que pour publier les fichiers que je modifie. Jusqu’à peu, ce processus aurait nécessité un passage par mon Mac ou des manipulations complexes sur l’iPad, mais ce n’est plus le cas depuis quelques mois.

J’utilise Working Copy, un excellent client Git qui gère correctement toutes les nouveautés d’iOS, notamment l'intégration à l'application Fichiers. Une fois le projet Git cloné en local, je peux y accéder depuis l’app Fichiers, modifier les documents qui s’y trouvent dans n’importe quelle app, et ensuite revenir dans Working Copy pour les envoyer sur le serveurs. C’est le genre de souplesse que seul macOS offrait jusque-là dans le domaine, mais iOS en est désormais aussi capable.

Cette intégration à Fichiers est précieuse. Elle me permet d’écrire dans l’app de mon choix et elle me permet également de gérer les images et autres fichiers nécessaires avec n’importe quelle app. Pour mes besoins, l’app Fichiers d’iOS 12 remplace parfaitement le Finder de macOS.

iA Writer pour écrire

Tous nos livres sont écrits en Markdown, un langage simplifiant l’écriture de texte en HTML. C’est le langage que j’utilise pour écrire tous les articles publiés sur nos sites, et c’est aussi le langage que nous utilisons pour les livres, avec quelques ajustements nécessaires. Je ne vais pas entrer dans les détails, l’essentiel est de savoir que l’on écrit en Markdown, et que je peux ainsi utiliser plusieurs apps.

L’App Store ne manque pas d’éditeurs de texte spécialisés en Markdown, c’est même une catégorie où l’on a l’embarras du choix. En revanche, il faut une app qui puisse s’intégrer parfaitement à Fichiers, pour modifier les documents sur place, sans les déplacer dans un autre espace de stockage, ce qui me forcerait à multiplier les allers et retours. Fort heureusement, l’app que je préfère pour écrire, celle que j’utilise depuis sa toute première version, est un excellent élève dans ce domaine.

iA Writer est capable depuis la fin de l’année dernière d’ajouter n’importe quel dossier depuis Fichiers dans sa bibliothèque. La méthode n’est pas évidente quand on ne le sait pas, alors voici comment procéder :

À partir de là, tous les fichiers texte présents dans le dossier pourront être édités dans iA Writer, sans passer par l’espace de stockage spécifique de l’app. Tous les changements sont instantanément visibles dans Working Copy, et je peux « pousser » une mise à jour sur le serveur dès que je le souhaite.

Ce processus est désormais identique sur macOS et sur iOS. Avant les mises à jour de Working Copy et d’iA Writer sorties en fin d’année dernière, travailler sur un iPad pour écrire un livre aurait été nettement plus contraignant. Il m’aurait fallu travailler sur une copie des fichiers dans l’espace de travail d’iA Writer, puis exporter les documents vers Working Copy, avant enfin de les publier sur le serveur. Pour être franc, si c’était encore le cas aujourd’hui, j’utiliserais certainement mon Mac pour écrire au lieu de l’iPad, tant ce serait contraignant.

Le travail d’écriture est sensiblement le même que je sois sur un Mac ou sur un iPad. La tablette ne permet que de travailler sur un seul fichier à la fois, ce qui est très efficace pour faciliter la concentration. J’ai trouvé que j’ai mieux avancé en utilisant l’iPad Pro, en général en mode ne pas déranger pour éliminer au maximum les tentations externes. Je pourrais aussi le faire sur mon Mac en passant iA Writer en mode plein écran, mais autant c’est parfait sur les 12,9 pouces de la tablette, autant c’est un petit peu ridicule sur un écran 30 pouces. Et puis j’ai toujours deux autres écrans qui peuvent servir à afficher les réseaux sociaux et autres divertissements.

En écrivant Tout savoir sur Raccourcis sur iPad, j'ai pu utiliser un seul et même appareil pour écrire et utiliser l’app qui était le sujet même du livre. Et grâce à Split View, je pouvais avoir iA Writer d’un côté et Raccourcis de l’autre, en même temps.

Je tenais à utiliser un iPad Pro 12,9 pouces pour que cette configuration soit confortable au quotidien. C’était un bon choix, puisque j’ai passé la majorité du temps à écrire ainsi, en partageant l’écran de la tablette entre ces deux apps. En fonction de mes besoins, je pouvais avoir iA Writer sur les trois quarts de l’écran et garder Raccourcis sur le quart restant, ce qui était pratique pour écrire tout en ayant dans le coin de l’œil le raccourci correspondant. Ou alors je pouvais réduire l’éditeur de texte à un quart de l’espace et afficher l’app d’automatisation sur la majorité de l’écran, ce qui me servait pour modifier un raccourci ou faire des captures d’écran.

Le Split View d’iOS propose aussi un mode 50/50. Et avec un iPad Pro 12,9 pouces, on garde toutes les fonctions avec un affichage similaire à deux apps en mode portrait côte à côte. J’aurais pu écrire le livre avec n’importe quel iPad, mais ce modèle m’a permis d’avancer beaucoup plus rapidement. Les iPad de 10 ou 11 pouces ne peuvent pas afficher deux apps en pleine taille l’une à côté de l’autre, et quand on passe ses journées à travailler sur ces deux apps, la contrainte devient vite un problème.

Il va sans dire que je n’aurais pas pu écrire les dizaines de milliers de mots que compte le livre sans un clavier externe relié à l’iPad. Même si le clavier virtuel d’iOS est assez confortable sur cette taille de tablette, avec des touches d’une dimension proche de celle d’un clavier physique justement, le confort de touches que l’on sent sur les doigts est, pour moi, indispensable. J’ai déjà eu l’occasion de détailler longuement mon installation dans mon précédent article sur l’iPad Pro, je ne reviens pas sur le sujet ici.

L’iPad est parfait pour de longues sessions à écrire sur un seul document, ou en tout cas sur un seul document à la fois. C’est très bien pendant la phase de rédaction du livre, mais beaucoup moins quand l’essentiel a été écrit et qu’il s’agit de relire, corriger des fautes, ou encore travailler sur la structure plutôt que le fond. Cette tâche nécessite d’avoir plusieurs fenêtres ouvertes et souvent d’utiliser plusieurs apps en parallèle, et je préfère alors reprendre le Mac plutôt que d’essayer de jongler entre les apps sur iOS.

C’est un point que j’espère voir amélioré avec iOS 13 d’ailleurs : si je veux simplement travailler sur deux fichiers Markdown en parallèle, je dois utiliser deux apps différentes sur l’iPad Pro. Et malheureusement, s’il existe des dizaines d’éditeurs de texte compatibles Markdown, je n’ai trouvé qu’iA Writer pour ouvrir un document dans Fichiers (et pas uniquement dans iCloud Drive) sans le déplacer. Faute de mieux j’ai utilisé l’éditeur intégré à Working Copy, mais c’est une expérience assez médiocre, là où je peux simplement ouvrir deux fenêtres d’iA Writer sur mon Mac.

Pour certaines tâches transversales, par exemple si je dois chercher-remplacer quelque chose dans tout le livre, je n’ai rien trouvé de comparable à un éditeur de code comme Visual Studio Code que j’utilise sur mon Mac. Il y a des équivalents sur l’iPad, mais ils sont nettement plus limités et souvent trop lents, et puis c’est un domaine où les 12,9 pouces de la tablette ne suffisent plus.

Raccourcis pour gérer les images

Tous nos livres sont composés de nombreux mots (en particulier quand c'est Nicolas qui les écrit, ndlr), mais aussi de centaines d’illustrations. Dans le cas de Tout savoir sur Raccourcis, la première édition compte près de 300 images, essentiellement des captures d’écran de l’app. Certaines captures ont été faites sur un iPhone, surtout pour les premiers chapitres de découverte de l’app. Pour la majorité des images dans ce livre, je n’ai toutefois utilisé qu’un seul et même appareil, mon iPad Pro.

Après plusieurs livres consacrés aux nouveautés d’iOS, j’ai un processus de travail bien établi sur mon Mac et je craignais qu’il soit impossible de le reproduire sur l’iPad. Pourtant, cet aspect-là n’a posé quasiment aucun problème, et je dirais même que l’expérience de capture est meilleure sur iOS. L’interface dédiée aux captures d’écran est très agréable à utiliser, elle m’a permis de rapidement isoler Raccourcis sur un écran partagé (quand on recadre une capture d’écran iPad, il y a un magnétisme sur les limites de chaque app), et d’obtenir une capture propre très facilement :

Avec un clavier physique, l’expérience est encore meilleure à mes yeux, puisque je peux utiliser le raccourci clavier ⌘⇧4 qui prend une capture d’écran et affiche immédiatement le mode édition. Je peux alors redimensionner l’image pour isoler ce qui est important, et éventuellement l’annoter. Avant de commencer, je pensais le faire en utilisant un Apple Pencil, mais étant mauvais en dessin et pire en écriture cursive, j’ai rapidement abandonné l’idée.

iOS 12 propose toutefois quelques outils d’annotation, bien suffisants pour mes besoins qui se résument le plus souvent à encadrer un élément sur la capture. C’est suffisant, mais après des années sur macOS, j’ai été frustré par la simplicité des outils et le manque de raccourcis clavier. Sur mon Mac, j’ouvre l’image dans un éditeur (Acorn en général), puis j’active l’outil forme vectorielle avec la touche r, ou alors je peux utiliser la touche v pour sélectionner une forme déjà ajoutée et la déplacer immédiatement, ou encore la touche t pour ajouter du texte.

Sur l’iPad, il n’y a pas de raccourcis clavier et pas de curseur. Il faut tout faire en touchant l’écran… ce qui peut aussi servir à dessiner une forme. Il m’a souvent fallu effacer des traits dessinés par erreur — le Pencil 2 est alors super pratique, je peux le tapoter deux fois pour utiliser la gomme —, là où je ne peux pas faire d’erreur sur Mac. En outre, il n’y a quasiment aucun raccourci clavier sur cette vue, ni pour activer le menu de partage, ni pour effacer une capture réalisée par erreur, et encore moins pour sélectionner un outil plutôt qu’un autre.

L’outil d’annotation ne propose pas non plus de guide d’alignement, ce qui fait que j’ai parfois utilisé une autre app, essentiellement Pixelmator qui manque aussi de raccourcis clavier, mais offre des outils plus proches de ce que j’ai l’habitude d’utiliser sur macOS. Il y a sur l’App Store des apps aussi complètes que celles que l’on peut trouver sur un Mac, comme Affinity Photo, mais elle est pour le coup nettement trop sophistiquée pour mes besoins.

Dans tous les cas, les images doivent ensuite être enregistrées dans un sous-dossier du projet dédié au livre, dans le bon format. Tous les fichiers doivent être sauvegardés en JPEG, alors que les captures d’écran créées par iOS sont au format PNG. Sur macOS, j’ai des scripts écrits en AppleScript pour tout convertir. Sur iOS, il était évident que j’allais utiliser Raccourcis…

J’ai créé deux raccourcis différents. Le premier est celui que j’ai le plus utilisé : il récupère une image, la convertit systématiquement en JPEG, demande un nom, enregistre le fichier au bon format et ajoute au presse-papiers le code nécessaire pour insérer l’image dans le livre. Il ne me reste alors plus qu’à revenir dans iA Writer et coller le code au bon endroit. Puisque je travaille en Markdown, c’est un code qui ressemble à cela :

![](media/nom_fichier.jpeg)

Le raccourci a été conçu pour fonctionner directement depuis un menu de partage, ce qui me permet d’utiliser celui de l’interface des captures d’écran. Je peux également l’utiliser depuis Photos, depuis une image dans l’app Fichiers, ou même avec n’importe quelle image du moment qu’elle peut être partagée. Si je lance le raccourci sans passer par un menu de partage, il affiche alors l’interface de sélection d’images et je peux sélectionner une capture d’écran, ou même une photo, stockée dans la bibliothèque locale.

Voici à quoi ressemble l’exécution du raccourci depuis l’interface dédiée aux captures d’écran :

L’autre raccourci fait la même chose, mais il combine plusieurs images côte à côte. C’est quelque chose qui est souvent nécessaire, soit pour coller deux captures d’écran d’iPhone, soit pour montrer un processus en plusieurs étapes. Le résultat est également enregistré au format JPEG, avec un nom saisi à l’exécution et avec le code Markdown ajouté dans le presse-papiers.

Ces deux raccourcis fonctionnent très bien, à un détail près. Par sécurité, l’action Enregistrer le fichier ne permet pas d’enregistrer automatiquement un document n’importe où dans l’app Fichiers. Si on l’utilise avec iCloud Drive, elle est cantonnée au dossier dédié à l’app Raccourcis, et il n’est pas possible d’en sortir. J’ai été ainsi contraint à chaque fois de déplacer les images depuis ce dossier vers celui du livre, une étape supplémentaire qui rappelle que le Finder conserve encore quelques avantages…

Si ces raccourcis vous intéressent, vous pourrez les télécharger en utilisant les liens suivants. J’ajoute que ces raccourcis seront intégrés dans une mise à jour du livre Tout savoir sur les Raccourcis. Je prendrai alors le temps de les détailler, comme tous les autres raccourcis proposés dans le manuel.

[Base] Sélection photos (raccourci de base nécessaire aux deux autres) ;

Enregistrer une image ;

Combiner des images.

J’espère que de futures versions de Raccourcis permettront d’enregistrer un fichier n’importe où dans l’app Fichiers. Mais même ainsi, le processus est rapide et simple à utiliser, en tout cas pour les images. Les vidéos, en effet, c’est une autre histoire. Il faut les convertir dans un format très particulier et il n’y a aucun moyen de le faire sur l’iPad à ma connaissance. J’ai commencé à réfléchir à un raccourci qui exploite le Mac pour la conversion, mais pour ce livre, j’ai préféré gérer toutes les vidéos sur macOS, où tous les outils sont déjà en place.

Pour conclure

Au bout du compte, j’ai réussi à écrire la grande majorité d’un livre uniquement sur l’iPad Pro. Certes, je suis revenu sur un Mac à la fin du processus pour certaines tâches spécifiques, mais il n’empêche que l’essentiel du contenu a été produit sur iOS et sur cette tablette. Et malgré les défauts signalés dans l’article, j’ai beaucoup apprécié cette expérience et j’ai préféré écrire le livre sur la tablette plutôt que sur mon Mac comme je le faisais jusque-là.

J’ai pu le faire, parce que le processus d’écriture restait assez léger et parce qu’un serveur se chargeait de la production du livre numérique en lui-même. Ce n’est pas une méthode générique qui s’appliquera à tous les cas de figure, mais peut-être que mon exemple pourra vous donner des idées dans votre domaine.