Sidecar vs Luna Display : quand Apple se fait sherlocker par plus malin

Quand le Mac et l'iPad travaillent ensemble en bonne intelligence, cela donne une fonction comme Sidecar qui transforme la tablette en moniteur externe de l'ordinateur. Phil Schiller, le vice-président du marketing, a expliqué que cette idée d'un deuxième écran répondait à un besoin que personne n'avait comblé jusqu'à présent. Bien sûr, c'est complètement faux.

Apple n'a fait que s'inspirer d'autres solutions existantes, comme Duet Display ou encore Astropad. Cela n'enlève rien à Sidecar, qui est une fonction satisfaisante pour la plupart des besoins ― y compris professionnels, notamment grâce au Pencil qui peut interagir avec les logiciels Mac qui s'affichent sur l'iPad. Mais le constructeur n'a rien inventé d'original ou d'inédit.

Cette propension qu'a Apple à « puiser » ses idées chez des développeurs indépendants n'est effectivement pas nouvelle, elle remonte au début des années 2000 lorsque la Pomme a « copié-collé » Watson, l'utilitaire de recherche en ligne de Karelia, pour en faire Sherlock. Ce qui a d'ailleurs donné le verbe « sherlocker » tant redouté des éditeurs tiers qui se font voler le pain de la bouche par Apple !

Il existe toutefois des manières de se tirer élégamment du piège tendu par Apple. Astro HQ, éditeur d'Astropad, la solution d'affichage externe sur iPad, et fabricant du dongle Luna Display, a été plus malin que le constructeur. D'une part, en déclinant sur son blog les « six leçons » apprises après le sherlockage de Sidecar, que l'entreprise s'est appliquées à elle-même. Et surtout, en prenant Apple à son propre jeu : le Luna Display permet désormais d'utiliser un Mac en tant que moniteur externe d'un autre Mac.

Un mode d'affichage cible longtemps proposé par Apple, avant son abandon avec les iMac 4K et 5K de 2017. Astropad ramasse doublement la mise, puisque la fonction Mac-to-Mac de Luna Display ne nécessite qu'un ordinateur sous Mac OS X Mountain Lion (10.8) comme écran externe (et un Mac sous macOS El Capitan 10.11 comme ordinateur « maître »). Autrement dit, le vieux MacBook qui traîne dans le grenier ou l'iMac mis à la retraite vont pouvoir resservir.

« Nous connaissions la menace potentielle que faisait peser Apple sur nos produits bien avant Sidecar », explique Savannah Reising, directrice du marketing d'Astro HQ. « Quand vous regardez ce que font les géants de la high-tech, que ce soit Apple, Amazon, Google ou Facebook, leurs innovations s'inspirent des petits développeurs tiers qui exploitent leurs plateformes ». Évidemment, Astro HQ a été « déçu » quand Apple a décidé de « sherlocker » leur solution, mais l'éditeur n'a pas été pris par surprise.

« Les premières rumeurs sur Sidecar ont démarré en avril, deux mois avant que la fonction ne soit annoncée [à la WWDC, ndlr]. Cela nous a donné un peu de temps pour nous ajuster et pour préparer notre réplique », décrit-elle. « Nous voulions faire savoir à nos utilisateurs que même si Sidecar représentait un revers, nous étions plus que jamais engagés dans le développement d'une technologie de pointe pour notre communauté d'utilisateurs professionnels ».

L'article sur les leçons du sherlocking d'Astropad prévient les développeurs tiers de ne pas tomber dans une « fausse romance » avec Apple, au risque de s'aveugler et de tomber de haut. « Ce qui est bon pour Apple ne l'est pas nécessairement pour les développeurs tiers, ne vous mettez pas trop à l'aise avec Apple ! », martèle Savannah. Le constructeur encourage fortement à l'adoption de ses derniers outils et API, ce qui finit par rendre les développeurs complètement dépendants d'Apple.

« C'est dangereux parce que cela limite votre clientèle, et les risques qui pèsent sur votre activité deviennent très importants quand Apple décide de vous concurrencer ». Et quand cela arrive, il ne reste plus que les yeux pour pleurer ! Pour sortir de cette ornière, Astro HQ recommande de rester curieux et d'expérimenter, ce qui n'est pas forcément évident quand on est une petite équipe (13 personnes chez Astro HQ).

Cette culture de l'expérimentation est une des choses que je préfère ! Nous faisons beaucoup d'erreurs qui nous permettent d'avancer. Quand vous êtes le petit outsider, vous avez un avantage : celui d'être rapide et agile. Vous pouvez changer de direction très facilement, et nous sommes des gens qui adorons les grand-huit.

Le mode Mac-to-Mac est le fruit du travail d'un ingénieur qui a pris le temps d'explorer d'autres possibilités avec le Luna Display. Astro HQ propose régulièrement à ses utilisateurs de tester des prototypes et des bêtas afin de collecter un maximum de retours. « Tous les projets que nous explorons évoluent en fonction des utilisateurs. Nous écoutons notre communauté, nous prenons en compte les problèmes les plus importants, et nous y puisons l'inspiration pour concevoir de nouveaux produits et de nouvelles fonctions ».

Sidecar est solide et performant, mais pour en profiter il faut posséder une configuration assez récente (Mac à partir de 2016, iPad Air 3e génération). Et puis la fonction se limite à l'affichage externe sur iPad. Le mode Mac-to-Mac répond à une vraie demande de la part des utilisateurs qui possèdent de vieux Mac, et il donne encore plus de valeur à Luna Display, déroule la responsable du marketing.

Le coup de pied aux fesses de Sidecar a été l'étincelle nécessaire à Astro HQ pour allumer les feux sous la version Windows d'Astropad et de Luna Display. Mais ce développement multi-plateformes a nécessité l'apprentissage de Rust, « une opportunité pour notre équipe d'ingénieurs, qui ont été emballés par le défi ». À écouter Savannah, il n'y a que des avantages : « Pour le dire simplement, non seulement Rust nous permet de proposer nos produits à l'ensemble des plateformes, mais notre code est aussi plus rapide ! ».

Si Astro HQ est finalement parvenu à « sherlocker » Apple, le risque existe toujours d'un retournement de situation : rien n'empêchera le constructeur de proposer de nouveau un mode d'affichage cible entre Mac. « Nous avons appris notre leçon avec Sidecar », affirme Savannah. Et effectivement, Apple pourrait bien faire le coup une deuxième fois… Mais « nous avons beaucoup de trucs cool dans nos tuyaux. Quand [Apple] voudra nous copier, nous serons déjà loin devant. Notre avenir est brillant ! ».

Les différents clients logiciels de Luna Display sont à télécharger gratuitement, mais pour les utiliser il faut le petit dongle. Il est vendu 80 $, en version Mini DisplayPort ou USB-C.